NEUJ’PRO 2022 : Tirer un trait sur 20 ans de Politiques «Jeunesse» en confettis ! C’est sans doute LA leçon qu’il nous faut tirer de ces 20 ans de NEUJ’PRO ! C’est évidemment un constat courageux mais nécessaire pour sortir d’une logique d’accumulation de financeurs/décideurs, de dispositifs et d’acteurs. Cette recette «Jeunesse» qui a duré un temps, semble avoir naturellement tourné au vinaigre même si certains en ont fait leur miel. La crise sanitaire 2020 a été sans doute le révélateur d’un manque de vision concernant cette population contrairement aux femmes enceintes et aux enfants de moins de 6 ans. De plus, le numérique a ajouté son grain de sel en changeant les comportements des générations montantes qui ont besoin, aujourd’hui plus qu’hier, de repères sécurisants, surtout et avant tout d’un point de vue émotionnel, pour s’épanouir et mieux comprendre le monde dans lequel notre vie en société se joue !
Une Gouvernance tirée par les cheveux et un Etat tirant les ficelles…
Claude Riboulet, le «jeune» Président du Conseil Départemental de l’Allier, fort d’un rendez-vous vichyssois qui fêtait ses 20 ans, a donné le ton sans mâcher ses mots et en balayant 4 principes-clés : premièrement, les dispositifs sont au service d’une Politique Publique; deuxièmement, une Politique Jeunesse est une Politique Educative; troisièmement, c’est aussi une Politique Transversale; quatrièmement, c’est également une Politique Familiale.
Jordan Parisse, chargé d’études et de recherche à l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP), est revenu sur les évolutions des politiques de jeunesse, en pointant un tournant-clé : les années 1990-2000. À partir de ce moment, le paysage institutionnel des politiques de jeunesse a fortement évolué en lien avec le développement de la décentralisation et s’est complexifié. Alors que le duo communes/Etat prédominait auparavant, on assiste alors à une multiplication des échelles de l’action – intercommunalités, départements, régions, Etat, Europe– et à la montée en puissance de nouveaux acteurs tels que les caisses d’allocations familiales, ce qui a modifié les modalités de construction des partenariats interinstitutionnels. Il a aussi souligné l’implication historique des associations en soulignant qu’au fil du temps, elles ont dû faire face à une évolution de la relation entre financeurs et financés, notamment du fait du développement des logiques de financement par appels à projets.
Marie-Pierre Montoro-Sadoux, la «jeune» vice-présidente déléguée notamment à la jeunesse du Conseil Régional Auvergne-Rhône-Alpes, dans la même veine, a rappelé les changements profonds que les Régions ont subi et ce, sur un laps de temps très court avec 2 années-clés : 2016 consacrant leurs nouveaux périmètres géographiques et 2018 leur attribuant le chef de filât Jeunesse, «une patate chaude sans le mode d’emploi». Elle a aussitôt ajouté la nécessité de le penser dans le cadre d’une alliance Départements/Région
Véronique Beuve, préfète de Vichy, qui représentait l’Etat au pied levé, a évoqué des éléments de langage bien entendus : le parcours citoyen, la politique interministérielle, la pluralité de mise en oeuvre des politiques publiques, le partenariat nécessitant un cadre aidant, le contrat d’engagement des Jeunes, le diagnostic, l’évaluation, l’importance de la continuité, les expérimentations via des appels à projets, l’adaptation à la réalité des territoires. Reste que le tissu d’opérateurs mis en place par l’Etat pour assurer une mission d’intérêt général, citons les missions locales des jeunes, les points d’information jeunesse, les associations d’éducation populaire, les maisons des adolescents, les points accueil écoute jeunes, les consultations jeunes consommateurs de cannabis, est une base qui sert aussi aux autres financeurs notamment les caisses d’allocations familiales et les collectivités territoriales. Et pourtant, les mêmes points critiques intra et extra-institutionnels ont la vie dure : des financements en silos, des fonctionnements parallèles et différents, une mutualisation ardue où chacun est poussé à tirer la couverture à soi !
Jonathan Bocquet, la voix de l’Association Nationale des Conseils d’Enfants et de Jeunes – ANACEJ, a résumé la situation en parlant d’un Etat marionnettiste : il tire les ficelles mais il ne veut pas mettre les mains dans le cambouis. Il crée un malaise à tous les niveaux. Le point positif, c’est que chacun fait ce qu’il veut mais le point négatif, c’est que chacun fait aussi ce qu’il peut…
Toutes ces prises de paroles ont finalement un trait commun : la reconnaissance de l’absence d’une Politique Jeunesse structurée et structurelle. Autrement dit, un bilan sans appel qui commande certainement un sursaut !
Une sonnette d’alarme tirée et les Départements tirant le fil de leurs compétences…
En 2020, un virus, la COVID 19, a fait émerger un sujet jusqu’alors sous les radars de l’administration : la santé mentale des jeunes. Le défaut de données disponibles et leur caractère lacunaire lorsqu’elles existent, prouvent le manque de considération de ce domaine.
Au-delà du court-terme, il s’agit aussi de mesurer l’impact de cet épisode sanitaire à moyen-long termes. C’est pourquoi, Santé Publique France a lancé en ligne, le 2 mai 2022, une Etude Nationale sur le Bien-Être des Enfants – ENABEE https://www.santepubliquefrance.fr/etudes-et-enquetes/enabee-etude-nationale-sur-le-bien-etre-des-enfants.
En outre, le cyberharcèlement, thème souvent placé en priorité numéro 1, fait également l’objet d’une enquête en ligne qui a démarré début 2020 et qui doit durer 3 ans. Elle est nommée «Cyberlife». Elle intéresse les collégiens des classes de 5ème, 4ème et 3ème. Elle nous a été présentée par Mathilde Janota, Psychologue et investigatrice de ce projet de recherche de l’université de Bordeaux – https://etudecyberlife.fr/.
Dans ce contexte bouleversant, les Départements ont su mobiliser leur «pack» de compétences et leur savoir-faire au profit du savoir-agir. C’est Jérôme Dumont, le «jeune» Président du Conseil Départemental de la Meuse qui en témoigne le mieux : sur les 1 600 boursiers de son département, 1 300 ont bénéficié d’une aide du conseil départemental grâce à une agilité administrative qui a permis de flécher autrement des budgets «coincés par la pandémie». Il a aussi noté que la Meuse qui compte 180 000 habitants pouvait être comparée à la communauté de communes de Villeurbanne avec ses 160 000 habitants. Dès lors, il est légitime de se poser collectivement la question du bouquet de compétences : est-ce qu’il serait plus pertinent de le rattacher à un nombre d’habitants ?
Le Conseil National de la Refondation, lancé le 8 septembre dernier avec le même esprit que celui de l’après seconde guerre mondiale, est sans aucun doute un levier pour ne laisser aucune piste sur le bord du chemin – https://conseil-refondation.fr/. La Jeunesse est, dans ce cadre, un public qui fait l’objet d’une consultation nationale comme le bien vieillir, le logement, le futur du travail, le numérique, la souveraineté économique ainsi que le climat et la biodiversité. De plus, les deux projets locaux concernent particulièrement cette tranche d’âge : l’école et la santé.
Dans la droite ligne de son collègue de la Meuse, Claude Riboulet a rappelé les deux fondements de la politique portée par les Départements et qui légitiment leur place de la naissance à l’âge de 17 ans révolus :
- d’une part, leur rôle en termes de prévention et de protection – services départementaux de protection maternelle infantile et de l’aide sociale à l’enfance
- d’autre part, les moyens et les budgets alloués aux collèges dont le numérique qui exige forcément un accompagnement pédagogique.
Pour les 18 – 25 ans, Jordan Parisse a pris le relai en invitant les pouvoirs publics à entrer dans une logique de droits. Force effectivement a été de partager le fait que la logique d’accumulation de dispositifs ne fait en aucun cas le lit d’une politique publique, sans compter que cette approche se traduit automatiquement par de grands écarts entre les territoires et par conséquent, de grandes inégalités. Est-il raisonnable, dans le contexte actuel de pénurie de professionnels, de perdre de l’énergie, du temps et de l’argent, en continuant d’alimenter un système où tous ces dispositifs manquent de visibilité, de notoriété, d’impact et coexistent sans forcément se soutenir ou coopérer ?
Il s’agit peut-être pour nous de penser systémique» et non «égoïstement», autrement dit, «service rendu aux publics ou réponse aux besoins territoriaux» et non «fonctionnement ou gestion d’une unité ou d’une division !». Bref, il nous faut certainement jouer collectif !
Une Jeunesse tirée d’affaires et le numérique tirant son épingle du jeu…
Lors de ces 20ème NEUJ’PRO, les jeunes étaient bien présents avec neuf élus du conseil départemental des jeunes de l’Allier qui ont été nos témoins fil rouge et trois représentants des principales organisations «Jeunesse» : le Comité pour les Relations Nationales et internationales des Associations de Jeunesse et d’Education Populaire – CNAJEP, l’ANACEJ et le Forum Français de la Jeunesse.
Si les jeunes, notamment étudiants, sont bien organisés, ne sont-ils pas aussi morcelés que leurs aînés ? En tous les cas, ils ont conscience, dans des cadres institutionnels qui les favorisent, de l’élitisation de leur représentation. Ce biais de sélection, ne permet-il pas à une même poignée d’entre eux, ceux qui sont déjà intégrés dans le système, d’engranger des expériences d’élus qui renforcent alors les inégalités sociales ? Délits d’initiés culturels ou informationnels, ce sont deux caractéristiques qui peuvent sauter à la figure lorsque nous observons l’écart conséquent qui demeure entre les jeunes «affichés» et les jeunes «empêchés ou invisibles».
En somme, ne sommes-nous pas pris au piège d’une approche Jeunesse qui n’est fondamentalement pas un objectif politique explicite ? Montrer que nous nous préoccupons de l’existence humaine dès la vie intra-utérine jusqu’à l’âge de la maturité cérébrale soit 25 ans, est un signal fort qui doit sans doute être donné aux futurs parents.
Il faut également avoir bien en tête que ces derniers seront irréductiblement, un jour, des digital natifs ce qui ne veut pas dire tous éduqués au numérique notamment ceux qui sont les plus fragiles socialement. Comme toujours l’usage de n’importe quel outil est le premier facteur qui compte. Dès lors, Loi, déontologie, morale et éthique, ou encore, les 3 tamis de Socrate, la vérité, la bonté et l’utilité, sont des balises indispensables. Au fond, le confinement nous a permis de partager une expérience commune où globalement, le numérique nous a facilité la vie en nous permettant de maintenir le lien avec notre famille, nos amis mais aussi la continuité scolaire et du travail même si c’est de manière imparfaite. C’est donc un instrument qui aura rendu plus supportable cette période mais aussi accéléré l’e-société. Mathilde Janota a cité, elle aussi, des effets bénéfiques d’Internet : le soutien social personnel, le bien-être général et un moyen d’expression en particulier pour les minorités.
Au total, faire en sorte que la traversée Jeunesse soit la plus positive possible, c’est forcément un cadre qui doit favoriser la sécurité émotionnelle des jeunes qui sont en prise avec un triple chantier physique, psychique et social subi et subit, caractérisé par de nouveaux organes, de nouvelles fonctions et de nouveaux pouvoirs. Ceci renvoie certainement à la posture des acteurs «Jeunesse» dont le rôle de premier recours en santé mentale n’est pas suffisamment pensé et donc agi !
Au terme de ces NEUJ’PRO, la mise en récit de 20 ans de Politiques Jeunesse a «visibilisé» sa construction erratique et par conséquent, fragile et précaire. C’est, semble-t-il, la naissance des nouvelles collectivités territoriales autonomes, au fil du temps, qui a multiplié les «porte-paroles Jeunesse» et son corollaire, la production désordonnée de dispositifs, sans discipline, à une époque où les limites et la bonne allocation des ressources publiques n’étaient pas un sujet. Au bout du compte, les trois niveaux de coopération qui ont été tolérés, sont restés rudimentaires : l’interconnaissance, le partage d’un diagnostic ou d’une analyse et la définition d’une stratégie collective. Le dernier palier, soit la mutualisation et la transversalité, n’a pas eu réellement de traduction concrète. La culture de l’agenda conjoint et de la feuille de route d’actions communes est demeurée une chimère. Il n’est pas étonnant au fond de tirer la langue avec des carottes déjà bien cuites, ou encore, dans un univers aux petits oignons pour la compétition des échelons …
Aujourd’hui ce qui semble avoir émulsionné durant ces NEUJ’PRO 2022 et qui apparaîtrait peut-être comme «la crème de la crème», renvoie à deux catégories d’acteurs qui pourraient donc ensemble tirer leurs marrons du feu :
1. d’un côté, les Départements qui ont déjà en charge la prévention et la protection des femmes enceintes et des enfants de moins de 6 ans, plafond qui pourrait naturellement s’étendre au moins de 11 ans. Cet échelon territorial a aussi des compétences «collèges» comprenant le bâti, la restauration scolaire, les équipements numériques éducatifs ainsi que «santé sexuelle». Dès lors, les Départements pourraient prolonger leurs interventions dans un service départemental de protection juvénile de 11 ans au moins de 18 ans grâce à une réorganisation du système qui regrouperait des services paralysés ou des dispositifs aujourd’hui éclatés : santé scolaire, centres de santé sexuelle, Points Accueil Ecoute Jeunes, Points d’Information Jeunesse, Maisons des Adolescents… Pourquoi le modèle PMI doit-il être rompu à 6 ans ?
2. de l’autre, l’Etat et ses organismes associés qui prendraient le relai à partir d’une logique de droits et non de dispositifs pour les 18 – 25 ans au moins. Pourquoi le modèle Adulte ne doit-il débuter qu’à 25 ans ?
A bons entendeurs, salut !
Dr Nadia Rachedi, gynécologue-obstétricienne, ancienne cheffe de clinique des universités et assistante des hôpitaux du CHU de Tours, cheffe de service prénatal et planification du conseil départemental de l’Hérault, autrice de Ordres et désordres dans la sexualité, la conjugalité, la parentalité (éd Erès) et co-autrice de Quelle prévention universelle et ajustée à la vulnérabilité ? et de Mes papas, mes mamans, et moi (éd Erès)